Pourquoi et comment les entreprises peuvent-elles s’engager dans la lutte contre les violences domestiques ?
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La Fondation Kering et l’association Led By Her[1] ont organisé un webinaire le jeudi 8 juillet à l’occasion de la sortie en ligne de leur rapport « Workplace laws to Combat Domestic Violence ». Celui-ci porte sur les meilleures pratiques et politiques de lutte contre la violence domestique (VD) sur le lieu de travail et a été réalisé avec le soutien du réseau juridique mondial pro bono de la Fondation Thomson Reuters, TrustLaw, et du cabinet d’avocats international Dentons.
Dans le monde, une femme[2] sur trois a subi des violences conjugales au cours de son existence. Dès l’ouverture, Gabriela Ramos, assistante directeur général pour les sciences sociales et humaines à l’UNESCO, a rappelé que la VD touche tous les pays et qu’il ne s’agit pas d’une question de progrès des institutions ou de niveau de développement. Aujourd’hui, c’est 38% des décès des femmes qui sont provoqués par un partenaire intime, c’est-à-dire plus que n’importe quelle maladie. La violence domestique peut se produire, certes, au sein des foyers mais affecte des vies bien au-delà, y compris sur le lieu de travail.
Le confinement lié au COVID-19 et le télétravail ont mis en évidence les interdépendances entre vie familiale et vie professionnelle. Dans le même temps, une augmentation inquiétante de la violence domestique à travers le monde a été observée (hausse de 30% en France). Le rapport était en cours de réalisation bien avant la crise, pourtant il a aujourd’hui une résonnance particulière : il peut aider les entreprises à se saisir de la question et à mettre en place différentes mesures et politiques pour faire du lieu de travail un endroit sûr et de confiance pour les victimes de VD, même quand il s’agit du domicile.
Les entreprises jouent un rôle déterminant puisque le travail est à la fois un lieu de protection où les victimes pourraient trouver des conseils juridiques, médicaux, pratiques ou psychologiques ; mais aussi un lieu connu par l’agresseur, où la violence peut directement se produire, virtuellement ou physiquement. Ainsi, les entreprises sont concernées par la question de la VD parce que cela touche aux droits fondamentaux mais aussi parce que la VD a un coût économique et un impact direct sur l’activité de l’entreprise et le bien-être au travail. L’étude du réseau One In Three Women[3], premier réseau européen d’entreprises engagées dans la lutte contre les violences faîtes aux femmes, a montré que 50% des victimes concernées connaissaient au moins l’un des trois impacts suivants : retard, absentéisme et/ou baisse de la productivité. S’ajoute à cela l’anxiété, le stress ainsi que l’impact sur les relations avec les collègues, le temps de management, la progression de carrière et inévitablement le salaire. Une victime peut perdre son emploi et se trouver en situation de précarité économique. Comme le souligne Jane Pillinger, experte mondiale en matière d’égalité des sexes et de violence basée sur le genre, c’est alors directement la stratégie égalité femmes/hommes de l’entreprise qui est mise en danger. Les coûts financiers, qui peuvent être directs ou indirects, regroupent ainsi les coûts de rétention, de recrutement, de remplacement et de productivité des personnes concernées.
A l’échelle internationale, deux textes obligent les Etats à encourager l’action des entreprises :
- la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Conseil de l’Europe, 2011)
- la Convention sur la violence et le harcèlement au travail (OIT, n°190, juin 2019)
En attendant des législations nationales, Chiara Condi, fondatrice de Led by Her, insiste sur le rôle des entreprises qui peuvent être proactives et prendre des initiatives. Ces dernières doivent créer un environnement de confiance où les victimes sentent qu’elles peuvent parler et être prises au sérieux. Manuela Tomei, directrice du département des conditions de travail et de l’égalité à l’OIT, précise que la question de la VD peut être envisagée sous deux angles : sous la politique de santé et sécurité au travail et/ou sous la politique d’égalité et de lutte contre les discriminations. Ci-après, des exemples de mesures qui peuvent être prises :
- Introduire la VD dans les évaluations des risques au travail et mettre en place des plans pour répondre aux risques identifiés
- Avoir un système de référents où la confidentialité est assurée
- Mettre en place des congés payés dédiés
- Proposer une plus grande flexibilité du travail
- Proposer une protection temporaire
- Former et sensibiliser les collaborateurs : définir précisément la VD, ses impacts, aider les employés à repérer les premiers signes et les conseiller sur comment communiquer, quels conseils donner et vers qui orienter.
- Élaborer des politiques et procédures
Les entreprises ne doivent pas voir ces mesures comme coûteuses à court terme, mais plutôt comme bénéfiques pour la productivité à long terme. Enfin, pour qu’elles soient mises en place et efficaces, le soutien du top management et des hommes est indispensable.
Ainsi, l’ensemble des participants du webinaire invitent les entreprises à s’engager, à partager les bonnes pratiques et appellent les acteurs publics, privés et associatifs à rejoindre leur combat. Pour Céline Bonnaire, directrice de la fondation Kering, l’esprit doit rester ouvert et flexible sur cette question où beaucoup reste à construire. Call for action is launched !
Vous trouverez le replay de la conférence ici et le rapport ici.
[1] Depuis 2008, la fondation Kering travaille sur la question des violences faîtes aux femmes à l’échelle mondiale en collaboration avec des organisations locales à but non lucratif comme Led by Her qui propose une reconstruction professionnelle par l’entrepreneuriat aux femmes victimes de violences.
[2] La violence domestique touche à la fois les femmes et les hommes. Toutefois, au regard des statistiques connues (environ 88% sont des femmes), nous parlerons ici des femmes victimes de violences.
[3] Le réseau One In Three Women, co-fondé avec la fondation FACE et dont fait partie Publicis, partage des bonnes pratiques et ressources et développent des outils comme des formations en ligne. L’étude a été réalisée dans les entreprises membres suivantes : Kering foundation, L’Oréal, Korian, Carrefour, BNP Paribas et Oui Care.
Eline Bardeau
Assistante RSE – Publicis Groupe